Bernica octet:
René DAGOGNET bugle, trompette
François GUELL saxophone alto
Jean LUCAS accordéon, électronique
Pierre BOESPFLUG piano
Denis MOOG guitares
Jean-Luc DEAT contrebasse
Christian MARIOTTO batterie
Quatuor Cemod:
Bergamote QUINTARD premier violon
Véronique VALLEE deuxième violon
Claire THIEBAUT violon alto
Mikiko MOULIN violoncelle
Sur l’écran, les images saisissantes du grand cinéaste Eisenstein.
Sur scène, un combo jazz, le Bernica octet, et un quatuor à cordes, le Cemod.
Au-delà du poids des images de cette fresque sociale impressionnante, le film, agissant comme une partition graphique, interagira avec l’espace sonore et musical proposée par les musiciens.
Le Bernica octet, friand d’aventures et de rencontres variées, invitant le quatuor à cordes Cemod, se frotte à un colosse de l’histoire du cinéma ; un défi, une tentative, un essai, une confrontation, une épopée pour une relecture actuelle d’un trésor du 7ème art éminemment d’actualité.
Le film
L’histoire : Dans la Russie tsariste, les ouvriers d’une usine se mettent en grève après qu’un des leurs se soit suicidé pour une fausse accusation de vol. Les pouvoirs en place feront tout pour provoquer les grévistes et mener une sanglante répression.
Distribution : Ivan Kljuvkin (un activiste), Maxime Strauch (le détective), Grigori Alexandrov (le contremaître) et la troupe du Proletkult.
Le cinéaste
Né en 1898 à Riga, Serguëi Mikhaïlovitch Eisenstein n'a vécu que cinquante ans et n'a laissé qu'une œuvre réduite : six films achevés, plus deux interrompus. Il est pourtant considéré, avec Charlie Chaplin, Jean Renoir et Orson Welles, comme l'un des plus grands cinéastes du siècle : Le Cuirassé Potemkine (1925), Octobre (1927), Alexandre Nevsky (1938) et Ivan le Terrible, sont toujours cités parmi les chefs-d'œuvre de l'histoire du cinéma. Cette stature historique du cinéaste tient également à son immense production écrite et dessinée, encore largement inédite. Tout au long de sa vie, Eisenstein n'a cessé de théoriser son art et d'analyser le processus de la création artistique, comparant la mise-en-scène cinématographique aux plus prestigieuses démarches des peintres, des sculpteurs, des romanciers et des musiciens.
« Une fois en possession du thème de La Grève, Eisenstein exigea que nous nous rendions sur place dans des usines, voir des ouvriers, discuter avec eux et faire parler des vieux révolutionnaires. Les matériaux - une masse considérable - rassemblés, Eisenstein pratiqua un tri, puis écrivit son scénario. Il travaillait aussi bien la nuit que le jour, gardant toujours, à côté de son lit, un cahier et un crayon. Il écrivait tout à la main, illustrant lui-même chaque plan. Qu’il s’agisse de théâtre ou de cinéma, il se comportait toujours comme un ingénieur, ne négligeant aucun détail. Ses réalisations étaient pareilles à des machines dont chaque rouage a son impérieuse raison d’être et sa signification. »
Maxime Strauch / Les Lettres Françaises / 28 août 1958)
A propos du film
Eisenstein avait monté plusieurs pièces de théâtre pour le Proletkult quand le collectif décide de s’essayer dans un domaine totalement nouveau : le cinéma. Il conçoit alors avec Valeri Pletniev, directeur du Proletkult, le projet de réaliser une épopée de huit films, sous le titre général “Vers la dictature du prolétariat” qui aurait relaté les divers aspects des luttes ouvrières antérieures à la révolution de 1917. La Grève devait être la cinquième partie de cette fresque dont Eisenstein écrivit le scénario sur des cahiers d’écolier et qui fut ensuite repris sous le titre “De la clandestinité à la dictature” (la quatrième partie, L’année 1905, fut à l’origine du Cuirassé Potemkine et la septième et dernière à celle d’Octobre). L’équipe du Proletkult participe au tournage, dont Maxime Strauch, l’ami d’enfance d’Eisenstein, et Grigori Alexandrov, qui sera son assistant pendant dix ans.
La Grève est presque entièrement filmé en extérieurs, à Moscou et ses environs, au cours de l’été 1924, et le montage est achevé en décembre. Eisenstein y utilise un certain nombre d’effets techniques et de trucages, surimpressions, fragmentations de l’écran, qu’il abandonna pratiquement dans la suite de son œuvre, mais qui étaient alors à la mode dans le Kino Pravda (Cinéma Vérité) de Dziga Vertov - dont le plus bel exemple demeure L’Homme à la Caméra. Eisenstein cherche néanmoins à créer un nouveau style de film, au croisement du Kino Pravda et du film à intrigue. “Ce fut un film révolutionnaire, sans roman d’amour, sans suspense détective, sans héros autre que la masse, prise comme un personnage collectif.” (Grigori Alexandrov)
Eisenstein y met en pratique ses théories sur le montage notamment le montage des attractions, dont l’effet sur le spectateur est déterminant : « Telle que nous la concevons, l’œuvre d’art est avant tout un tracteur qui laboure à fond le psychisme du spectateur, dans une orientation de classe donnée :” On y trouve aussi son utilisation du typage, le fait de choisir des “types” de personnages reconnaissables immédiatement par les spectateurs, à la manière de la Commedia dell’Arte. “Chaque visage entrevu devait apparaître comme une composante caractéristique de l’événement. L’homme n’étant montré que pendant un court instant, son aspect devait être excessif à l’extrême : son visage devait être en quelque sorte, une philosophie, une conception du monde.” (Maxime Strauch)
Ce film qu’Eisenstein décrit comme “le premier exemple d’art révolutionnaire où la forme se montre plus révolutionnaire que le contenu” rencontra un immense succès en Union Soviétique où il ne fut présenté, à cause d’une pénurie de pellicule, que le 28 mars 1925. En Europe, La Grève ne sera diffusé qu’en Allemagne. Le film est pourtant primé à Paris à l’Exposition des Arts Décoratifs en octobre 1925, mais il ne sortit commercialement en France qu’en 1967.